Jan Palazzi est la directrice générale de l’Association internationale de boulingrin pour les personnes ayant un handicap. À l’origine, ce texte a été rédigé pour Bowls Australia. Elle nous a autorisés à le publier dans ce blogue pour aider les membres du milieu du boulingrin au Canada à être plus inclusifs envers les boulistes qui ont un handicap.

Les joueurs de boulingrin handicapés
Certaines personnes sont nées avec un handicap. D’autres sont devenues handicapées à cause d’un incident ou d’un accident.
Pensez-y un moment. Vous êtes dans votre voiture en direction d’une séance de lancers d’essai, d’une fête avec des amis, vous avez un bon emploi, vous menez une vie active, vous savourez la vie au maximum et faites généralement les choses en les tenant pour acquis sans y réfléchir à deux fois.
Soudain, très brusquement, en un clin d’œil, tout cela disparaît.
Votre monde est complètement bouleversé. Vous et la vie que vous connaissiez ne seront plus jamais les mêmes.
Des mois (parfois des années) de réadaptation intense conjuguée à d’importantes adaptations mentales et physiques à des circonstances nouvelles (inconnues pour plusieurs) constituent la nouvelle réalité.
Une seule phrase ne permet pas de rendre compte de l’énormité du changement – incapacité à marcher adéquatement ou, pour plusieurs, incapacité à marcher, point.
Imaginez que vous n’êtes plus capable de sentir vos jambes ou que vous ne pourrez plus jamais marcher.
Accepter de vivre votre vie en fauteuil roulant ou de devoir composer avec les problèmes de santé connexes pour le reste de votre vie?
Voilà la nouvelle normalité pour ces personnes. Pour toujours.
À ce jour encore, même après avoir travaillé de nombreuses années avec des personnes handicapées, je n’arrive pas à le concevoir, moi non plus.
Plusieurs d’entre nous ont déjà eu une maladie, un incident ou un accident, par exemple un bras fracturé, une cheville foulée, un genou faible ou une crise de goutte, problèmes desquels nous savons que nous finirons par nous rétablir.
Les personnes qui doivent composer avec une nouvelle normalité (une qu’elles n’ont pas choisie) ne vont pas soudainement se rétablir et retourner à la marche à leur club de boulingrin ou se rendre sur un terrain de jeu sans adaptations majeures.
Des adaptations majeures pas seulement pour elles, mais aussi pour les personnes autour d’elles.
Selon divers scénarios, s’il s’agissait de vous ou de moi qui s’était rétabli après avoir subi une maladie, un incident ou un accident, à notre retour au club, nous aurions probablement droit à une salutation comme : « Heureux de te revoir. Allons faire une série de lancers d’essai. »
Mais pour les personnes nées ou qui sont devenues paraplégiques, quadriplégiques ou handicapées, la réaction serait très différente.

Plusieurs personnes ne savent pas quoi dire ou se demandent comment elles devraient réagir, craignant d’offenser l’autre personne ou de dire quelque chose d’inapproprié, et pour plusieurs, il est plus simple d’ignorer et de ne pas s’en mêler!
Il est plus offensant d’être ignoré.
Il ne faut pas oublier que la personne qui est maintenant en fauteuil roulant est la même personne qu’avant l’accident, seule sa situation a changé, et pour plusieurs, leurs jambes sont devenues le fauteuil roulant dans lequel ils sont maintenant assis.
D’après mes observations et l’expérience acquise au fil de nombreuses conversations, les athlètes ayant un handicap ne demanderaient pas mieux que de répondre aux questions et d’être inclus, ils veulent continuer à vivre et s’adapter à leur nouvelle normalité.
La majorité des personnes en fauteuil roulant que je connais sont extrêmement confiantes et prêtes et aptes à relever un nouveau défi; en revanche, quelques personnes qui sont en fauteuil roulant depuis un certain temps (depuis longtemps ou peu de temps) ne sont pas aussi confiantes ou aptes.
Cela peut être dit au sujet de n’importe quelle personne non handicapée qui souhaite apprendre à jouer au boulingrin ou acquérir une nouvelle habileté, le manque de confiance et de capacité peut être le même. Il n’y a pas de différence, que vous soyez handicapé ou pas.
En tant qu’entraîneur, que se passerait-il si une personne en fauteuil roulant entrait dans votre club et demandait qu’on lui apprenne à jouer au boulingrin?
Que feriez-vous?
Plusieurs entraîneurs sauraient exactement quoi faire.
D’autres ne sauraient pas par où commencer, non pas parce qu’ils refusent de le faire, mais plutôt parce qu’ils ignorent comment débuter ou éprouvent de la difficulté à interagir avec une personne handicapée.
Le début est toujours la meilleure manière de commencer. Les entraîneurs qui n’ont jamais entraîné une personne handicapée ne doivent pas oublier : il s’agit d’une courbe d’apprentissage pour eux aussi, un apprentissage qu’ils devraient accueillir favorablement. Croyez-moi, après quelques séances, vous en aurez appris autant, sinon plus encore, que l’athlète que vous entraînez en aura appris de vous. Il s’agit d’une expérience gratifiante et qui rend humble.
J’ai déjà été témoin de situations où des personnes parlaient plus fort ou plus lentement en s’adressant à une personne en fauteuil roulant. Les personnes en fauteuil roulant ne sont pas sourdes ou atteintes d’une déficience intellectuelle. (Je dois toutefois admettre que j’ai aussi entendu des répliques parmi les plus percutantes et drôles de la part de personnes en fauteuil roulant lors de telles situations. Les personnes en fauteuil roulant disent les choses comme elles le sont!)

Dans cet article, je parle pour l’essentiel des personnes qui sont confinées dans un fauteuil roulant. Cependant, plusieurs personnes ont un handicap qui n’est pas aussi évident. Il pourrait s’agir d’une personne atteinte de paralysie cérébrale, qui a subi un accident vasculaire cérébral, qui a une déficience visuelle, qui est amputée, qui a la sclérose en plaques ou qui a une déficience intellectuelle… Les possibilités sont trop nombreuses pour être toutes énumérées.
Chaque handicap est associé à un ensemble unique de problèmes et de difficultés.
D’abord et avant tout, ce qui est certain, c’est que les personnes handicapées connaissent bien les obstacles auxquels elles ont déjà fait face bien avant que vous n’ayez eu l’occasion d’en observer quelques-uns dans un club, et, en aucun cas, il ne s’agit d’encourager qui que ce soit à faire preuve de sympathie à leur égard, parce que, croyez-moi, je le sais de source sûre, il s’agit de la dernière chose qu’elles veulent ou attendent – bien que de la sympathie est un bon point de départ.
Ces personnes veulent faire partie du groupe et ne veulent pas ou ne s’attendent pas à être traitées différemment, en plus de parfois être farouchement indépendantes.
Compte tenu de ce que ces personnes ont enduré pour en arriver au point d’acquérir une nouvelle habileté, il s’agit rien de moins que de réalisations extraordinaires.
Ces personnes sont habitées par un désir de jouer et de briller dans le sport comme vous et moi.
Après avoir travaillé pendant plus de 20 ans avec des personnes handicapées, je sais que j’apprends toujours et je reconnais ouvertement que je suis en admiration devant le fait que les personnes handicapées ne sont pas des plaignards, et ce, même en ayant parfois dû avaler des doses d’analgésiques qui pourraient endormir un cheval juste pour pouvoir jouer une partie de boulingrin.
La plupart des personnes non handicapées ignorent tout de cette réalité, parce que les athlètes handicapés parlent rarement de leurs douleurs, qui, pour certains, peuvent être constantes.
Ces personnes sont exceptionnelles, et je ressens le plus insigne des respects à leur égard, sachant et comprenant les difficultés auxquelles elles ont fait face et ont dû surmonter pour être sur un terrain de jeu.
Quelques-uns de mes plus proches amis sont handicapés. À l’instar de mes amis non handicapés, ils sont drôles, ils s’adaptent, ils ont un emploi, ils sont très intelligents, ils aiment la vie et ils la vivent pleinement.
Une personne en fauteuil roulant dit vouloir aller à votre club et apprendre à jouer au boulingrin. Alors, que faites-vous?
Il y a des choses qui sont nécessaires pour les personnes en fauteuil roulant, mais qui ne sont pas toujours évidentes pour nous, les personnes qui marchent.
- Est-ce que votre club dispose de places de stationnement pour les personnes à mobilité réduite?
- Votre club dispose-t-il d’un accès pour fauteuils roulants aux différentes installations?
- Votre club dispose-t-il d’un accès au terrain de jeu pour fauteuils roulants ou d’un accès sécuritaire pour les personnes à mobilité réduite?
- Est-ce qu’il y a des obstacles entravant la circulation des personnes en fauteuil roulant?
Tout cela peut sembler beaucoup, mais ce sont ces choses petites, mais extrêmement importantes, que les personnes non handicapées tiennent pour acquises.
J’ai déjà entendu des personnes non handicapées affirmer : « Ils peuvent marcher, pourquoi ont-ils besoin d’un fauteuil roulant? Ils font semblant. » ou « Ils peuvent voir. Ils disent qu’ils ont une déficience visuelle, alors, ils font probablement semblant. »
En règle générale, de tels propos sont tenus par une personne qui vient de perdre une partie contre un joueur en fauteuil roulant ou qui a une déficience visuelle. Dans les deux cas, cela tient de l’ignorance.
Croyez-moi, si un bouliste ou un athlète handicapé avait le choix, il serait fou de joie de ne pas être dans un fauteuil roulant et aux anges de pouvoir voir le terrain de jeu sur toute sa longueur!
Prenons l’exemple d’une personne qui porte des lunettes pour lire, mais qui les retire pour faire d’autres activités. Est-ce que cette personne fait semblant, ou est-ce que cela signifie qu’elle n’a pas besoin de ses lunettes tout le temps? La situation est la même pour les athlètes et les boulistes qui ont une déficience visuelle.
Les personnes handicapées veulent seulement être traitées équitablement. Elles ne veulent pas que les autres éprouvent de la pitié à leur égard et qu’ils les voient comme des personnes sans moyens, car, croyez-moi, « sans moyens » est loin d’être vrai.
Tout ce que nous devons faire, c’est d’être conscients de leur situation et de leurs besoins. Bien que nous soyons tous les mêmes, nous sommes tous tout à fait différents. Inclusion, voilà le maître mot.
Les personnes qui lisent ce texte et qui ont un ami ou un proche qui est handicapé saisiront de quoi il s’agit. Mais si cet article touche une personne qui ressent un peu d’inquiétude à l’idée de s’adresser à une personne handicapée qui entre dans son club, j’espère que ce texte aidera cette personne à abattre certains obstacles.
Les personnes handicapées demeurent des êtres humains. Ces personnes ont des désirs et des rêves, comme vous et moi, et elles veulent seulement être incluses.
On dirait que j’ai un parti pris. Oui, assurément.
Personnellement, entraîner des athlètes handicapés a toujours été un privilège pour moi. Je crois aussi qu’il s’agit d’une expérience que vous, en tant qu’entraîneur ou membre de club, pouvez vivre, si vous le souhaitez.
Les athlètes handicapés ont des histoires parmi les plus incroyables, magnifiques, tristes et hilarantes qui soient à raconter.
Avez-vous oublié que nous, les personnes sans problèmes de mobilité, sommes chanceux d’avoir évité le pire? N’importe qui parmi nous pourrait se retrouver dans une telle situation…
Nous ne sommes pas touchés… jusqu’à ce que nous le soyons!
À la prochaine!
Jan Palazzi
Directrice générale, Association internationale de boulingrin pour les personnes ayant un handicap